Monsieur le Président, cher·es collègues,
Il y avait SNCF Voyageurs, SNCF Réseau, SNCF Gares et Connexions, l’Autorité de Régulation des Transports, Trenitalia et voici aujourd’hui que nous parlons de Railcoop.
On s’y perd parfois entre ces différents acteurs, alors pour tenter d’être pédagogue, je vous ai ramené un jeu que j’aime beaucoup : Les Aventuriers du Rail. Bon, 5 minutes, c’est un peu court pour une partie, mais on va déjà parler des bases.

Dans les Aventuriers du Rail, chaque joueur.euse a dans sa main des cartes Wagon avec lesquelles il peut acheter des tronçons et des gares pour relier plusieurs villes, ceci afin de créer des routes correspondant aux cartes Destination qu’il a piochées ; cartes Destination qui permettent de gagner plus ou moins de points selon la longueur et l’importance de la route.
En France, depuis 1937 et la création de la SNCF, le jeu était très facile à comprendre. Il y avait un seul joueur qui s’appelait État. Oui, l’État il a des pions de couleur rouge, ça c’est pour plaire aux collègues communistes. L’État avait acheté tous les tronçons pour permettre aux voyageurs.euses de relier facilement les destinations même les plus lointaines, y compris à travers des territoires moins peuplés.
Par exemple, il y a une vingtaine d’années, pour faire la carte Lyon-Bordeaux, on pouvait passer par Roanne, Montluçon, Guéret, Limoges, Périgueux en à peine 6 heures grâce à des turbotrains. Et l’avantage, c’est que quand on réussissait la carte Lyon-Bordeaux, on gagnait également les points des cartes Lyon-Montluçon, Roanne-Périgueux, ou Guéret-Bordeaux puisqu’on permettait aux voyageurs.euses de faire ces trajets intermédiaires.
Pendant longtemps, l’État a été un excellent joueur, permettant de voyager à peu près partout en France, que l’on se situe dans une grande métropole ou dans des territoires ruraux.
Puis au fur et à mesure des années, il s’est mis à ne s’occuper que de super tronçons appelés lignes à grande vitesse. Paris-Lyon-Marseille, Paris-Strasbourg, Paris-Lille, Paris-Rennes, Paris-Bordeaux, des super tronçons très performants, qui rapportent des points mais qui coûtent cher.
Ce faisant, il a laissé le reste du réseau se dégrader. Les lignes transversales et les trains du quotidien ont vu leur temps de parcours s’allonger inexorablement, quand ils n’ont pas été tout simplement abandonnés ; de nombreuses gares ont été fermées. Beaucoup de cartes Destination ont dû être défaussées, comme le Lyon-Bordeaux par exemple ou encore, dans notre région, St-Étienne ↔ Clermont-Ferrand.
Des lignes pourtant indispensables pour relever le défi d’une mobilité propre et durable, indispensables également pour le bon équilibre des territoires entre eux. Car oui, les territoires ruraux, les villes moyennes et leurs habitant.es doivent aussi pouvoir bénéficier du train !
Raconter l’aventure de Railcoop, c’est tout d’abord dresser un terrible constat, celui du déclin du formidable réseau dont dispose notre pays avec 28 000 km de voies ferrées. Un réseau pour lequel nous n’avons consacré en 2021 que 45€/habitant.e, contre 158€ au Royaume-Uni, 270€ en Autriche et 607€ au Luxembourg.
Un réseau qui a été en conséquence sous-entretenu, où l’âge moyen des rails est de 30 ans, soit deux fois plus qu’en Allemagne. Un réseau dont le vieillissement a entraîné et entraîne encore des ralentissements ou des fermetures de lignes.
Raconter l’aventure de Railcoop, c’est aussi évoquer le manque d’ambition de ce gouvernement comme des précédents pour le ferroviaire. Le dernier contrat de performance de SNCF Réseau prévoit 25 milliards d’euros d’investissement sur la prochaine décennie, là où le patron de la SNCF Jean-Pierre Farandou estime qu’il faudrait au minimum 100 milliards d’euros sur 15 ans, ne serait-ce que pour, je cite, « limiter l’érosion ».
Alors l’État, poussé par une Union Européenne toujours plus libérale, a dit « ne vous inquiétez pas, j’ai la solution, on va faire rentrer de nouveaux joueurs sur le plateau, ça s’appelle la concurrence ». Mais ce que l’État n’a pas compris, c’est que la plupart de ces nouveaux joueurs sont des sociétés privées qui n’ont que faire des petites lignes et ne visent que les supers tronçons qui rapporteront beaucoup de points.
Raconter l’histoire de Railcoop, c’est donc raconter l’histoire de petits joueurs.euses qui n’avaient dans leur main pas beaucoup de cartes Wagon mais qui se sont dit qu’en s’associant, ils étaient peut-être capables d’acheter un tronçon fermé et de rouvrir des gares abandonnées.
13 500 joueurs.euses qui ne souhaitent pas concurrencer la SNCF, qui auraient préféré que ce soit elle qui n’abandonne pas ces liaisons, mais qui ne se résignent pas pour autant à attendre que le gouvernement la remette, excusez le jeu de mots, sur de bons rails.
13 500 joueurs.euses qui sont aussi bien des citoyen·ne·s, des salarié.es, mais aussi des collectivités locales de tout bord politique : les régions Grand-Est et Bourgogne-Franche-Comté, les départements de l’Allier et de la Creuse, ou encore les agglomérations de Vichy, Montluçon et Gannat.
13 500 joueurs.euses qui ont décidé d’expérimenter un autre modèle d’organisation plus démocratique : la société coopérative d’intérêt collectif, où chaque actionnaire a une voix peu importe son capital, et où plus de la moitié des bénéfices sont réinvestis.
Nous ne sommes pas de doux.ces rêveurs.euses et nous connaissons les difficultés que Railcoop doit encore affronter. La rénovation des rames est en cours, mais il reste encore à convaincre des banques d’accorder des prêts.
En apportant aujourd’hui notre carte Wagon à ce projet, nous souhaitons donner une chance à de telles initiatives de voir le jour. Nous sommes convaincu.es que ce projet est structurant pour la desserte de nos territoires urbains comme ruraux, qu’il favorisera le report modal vers une mobilité durable.
Dans les Aventuriers du Rail, le joueur ou la joueuse qui a le plus de points remporte la partie. Nous proposons de changer les règles et de faire de cette version grandeur nature un jeu coopératif, pour que chacun.e de nos concitoyen.nes, où qu’il ou elle habite, en ressorte gagnant.
Je vous remercie.
Matthieu VIEIRA
Conseiller métropolitain